Des nanotechnologies et de ce qui va avec

Pourquoi il faudrait sérieusement commencer s'interroger sur les nanotechnologies.

Après le nucléaire et les OGM, un nouveau "front" s'est ouvert depuis quelques années dans la gué-guerre menée par la société industrielle : celui des nanotechnologies. Si les supports de ces recherches sont infimes (du l'ordre du nanomètre), les retombées risquent bien d'être gigantesques et de bouleverser considérablement notre mode de vie avec, comme sombre perspective, "une société à la 1984" (1). Quelques éléments sur la prochaine révolution industrielle.

Les enjeux des nanotechnologies

Quand on dit "nanotechnologies", on nous répond souvent "qu'est-ce que c'est que ça ?" ou alors "et sinon ça va ?", tant la majorité des citoyen-e-s ne sont pas au courant des dernières sorties des laboratoires. Un peu de lumière sur ce sombre thème.

Les nanotechnologies, c'est quoi ? Cela concerne l'exploration d'un domaine accessible depuis peu, celui de l'infiniment petit. Le préfixe nano fait référence au milliardième de mètre, soit environ un cent millième de l'épaisseur d'un cheveu. Les nanotechnologies concernent la fabrication et la reproduction de mécanismes et de produits élaborés de toutes pièces à partir d'atomes et de molécules à l'échelle nanométrique, là où les lois de la physique classique ne s'aplliquent plus et où les effets dits quantiques permettent des réalisations inouies. Pour illustrer, on peut aussi dire qu'avec les nanotechnologies, le matériel génétique et la matière inerte deviennent des jeux de Légo manipulables à volonté. De la même manière que les OGM permettent de changer les propriétés génétiques d'une chose vivante, les nanotechnologies pourront changer les propriétés de n'importe quel matériau. Ce qui est "terrible" avec ces nouvelles technologies, c'est que plus rien ne semble impossible tant l'espèce humaine pourra rivaliser avec la nature, soit en fabriquant des nouveaux matériaux molécule par molécule, soit en créant, à partir de protéines ou d'ADN des nanomachines imitant le vivant. D'accord, mais pourquoi faire ?

Les applications des nanotechnologies

Concrètement, la recherche en nanotechnologies peut avoir plusieurs type de débouchées :

Quant aux éventuelles retombées sanitaires ou écologiques des nanotechnologies, peu de personnes sont aujourd'hui capables de les évaluer, ce qui ne ralentit en rien la folle vitesse des avancées de la recherche. Le but du jeu : trouver et réflechir aux implications et conséquences après. On entend par contre un peu parler de risques que peut entraîner la production des futurs nano-élements : la plupart des nanologues estimant qu'on ne pourra pas produire des nano-objets ou nanomatériaux à la chaîne, il faudrait donc des nanorobots pour manipuler les atomes et pour fabriquer d'autres nano-robots. Ces procédés d'auto-réplication seraient fondés sur la chimie du carbone. Que se passerait-il si à la suite d'une malveillance ou d'une erreur de programmation, ce processus d'auto-réplication s'emballait, échappant à tout contrôle ? Tout le carbone de la Terre serait rapidement consumé, transformant celle-ci en une boule de "grey goo", de gelée grise. Ce scénario, évoqué et débattu par des experts en nanotechnologies, relève certes quelque peu de la science-fiction, mais n'est ce pas, comme pour le nucléaire, faire émerger la possibilité d'un énorme risque, renforçant le pouvoir de celles et ceux qui peuvent influer sur lui (scientifiques, décideurs) ?

Sauvons la recherche ?

Depuis l'automne 2003, on a beaucoup vu des chercheurs manifester et s'organiser pour lutter contre les restrictions des budgets de recherche annoncées par le gouvernement Raffarin. Ce mouvement, qui a bénéficié d'une grande sympathie dans l'opinion publique, arguait qu'il était absolument nécessaire de sauver la recherche. Cependant maintenir une confiance aveugle dans la recherche nous apparaît source de graves dérives. On peut en effet discuter des applications "bonnes" ou "mauvaises", de la recherche, soutenir que "l'outil est neutre" et l'usage seul en cause, qu'il ne faut pas jeter "le bébé avec l'eau du bain", ou mélanger "le bon grain avec l'ivraie", mais un fait demeure indiscutable : tout "progrès des connaissances" participe avant tout au renforcement de l'organisation centralisée, autoritaire et militarisée de la société. "Les retombées positives" n'étant que les moindres maux avec lesquelles on obtient l'accord tacite de celles et ceux qui subissent le plus cette organisation. Car il n'y a pas que les possibles applications de la recherche en nanotechnologie qui soient condamnables, il y a aussi la forme d'organisation de la société qu'elle induit : hyper-spécialisée donc forcément "verticale".

Faut-il alors militer pour l'abandon de toutes recherches ? N'y a t il pas des champs de recherchent qui sont dignes d'intérêts (économie d'énergies, médecine) ? Difficile aujourd'hui d'avoir des réponses à tous ces questionnements, mais il est urgent de faire connaître tous les doutes qu'on peut légitimement avoir face au développement "consensuel" de ces nouvelles technologies.

La technopole grenobloise

Grenoble, ville d'avenir ? A en croire les journaux locaux et les dires des élu-e-s, Grenoble est aujourd'hui aux nouvelles technologies ce que Montélimar est aux nougats, ce qui devrait faire le plus grand plaisir aux Grenoblois-es. Les implications et conséquences (enjeux et dangers des nanotechnologies, dégradation de l'environnement, exclusion sociale) de cet état de fait sont, par contre, bien tues. La belle unanimité entre élu-e-s et scientifiques commence toutefois à être remise en cause par de "simples citoyens", auteur-e-s d'une véritable contre-expertise à ce sujet.

La capitale des Alpes, faute de matières premières ou de possibilités commerciales, s'est toujours voulu une pionnière de la recherche et n'a donc pas hésité à se lancer tête baissée dans les secteurs des microtechnologies, puis des biotechnologies et enfin des nanotechnologies. Pour ce faire, les élu-e-s et scientifiques ont multiplié le lancement de laboratoires et piles d'innovations. Parmi les derniers projets, on peut citer

A chaque fois ce sont des centaines de millions d'euros d'argent public qui sont investis. On parle de Crolles 2 comme le plus gros investissement industriel français depuis la construction des dernières centrales nucléaires (2,8 milliards d'euros dont 543 millions d'euros d'aides publiques). Mais le soutien public à ces structures privées n'est pas uniquement financier ; ainsi les élu-e-s ne manquent pas d'éloges pour qualifier cette "chance" pour l'agglomération, la création de milliers d'emplois et la promotion de la région à l'extérieur. On n'entend par contre très rarement parler de ce qui va avec :

Le beau consensus qui flotte sur ces questions est d¸ notamment à l'absence d'informations véritables pour le grand public. Tous les décideurs des différentes structures (mairie, communauté de communes, conseil général), mise à part quelques faibles réticences de certain-e-s écologistes, soutiennent fortement toutes ces initiatives "innovantes" pour le plus grand bonheur du monde de l'industrie et de l'armement. Les élu-e-s provenant du milieu de l'industrie sont d'ailleurs légions : Michel Destot, maire de Grenoble, est par exemple un ex-ingénieur du Commissariat à l'énergie atomique, lequel est le grand promoteur des nanotechnologies.

L'argument principal des autorités ? Le chantage à l'emploi : "Le pari du Conseil général [de l'Isère] et de ses neufs partenaires, c'est d'utiliser Minatec comme un aimant pour attirer en Isère des activités à haute valeur ajoutée qui créeront des milliers d'emplois dans les années à venir (5). Ce prétexte de l'emploi à tout prix sert ainsi à justifier tous ces investissements publics dont la majorité des citoyens ignorent l'existence. Les projets se montent discrètement puis s'imposent inévitablement malgré toutes les retombées sociales et environnementales qu'ils comportent, sans jamais provoquer de débats publics ou de réelles remises en questions, sauf...

De quelques cigales

Depuis quelques mois, la fourmilière des nanotechnologies commence cependant à être la cible de vives critiques. Un site internet (www.piecesetmaindoeuvre.com) présente depuis plusieurs années de nombreux textes, écrits par de "simples citoyens", critiquant vivement tous les acteur-e-s et aspects de la technopole grenobloise. Ces écrits anonymes, véritables contre-enquêtes, ont été distribués à chaque conférence/débat/rencontre à propos des nanotechnologies. Ils ont inspiré d'autres acteur-e-s à faire part de leur doutes : ainsi en 2003 et 2004 ont eu lieu, lors du Festival des résistances et des alternatives au kapitalisme (ou FRAKA), deux visites en bus des sites techno-industriels grenoblois où des faux guides montraient au public tous les lieux "high-tech" et les enjeux qu'ils révèlaient.

Mais c'est en octobre 2004 que le problème des nouvelles technologies a commencé à émerger sur la place publique, notamment gràce à la parution d'un faux Métroscope. Ce magazine est le mensuel de la Métro, la communauté de communes, tiré à 200 000 exemplaires et ardent promoteur de toutes les initiatives des collectivités territoriales. Des personnes ont réussi à en faire un plagiat parfait où ils détournent la parole des décideurs, simulant qu'ils avaient totalement changé d'avis sur nombre de sujets et qu'ils prenaient donc les décisions adéquates : "dissolution de la Metro", "rupture avec l'idéologie de la croissance", "révélations des liens entre la recherche et l'armée", "choix d'installer un jardin potager biologique communautaire plutôt que Biopolis (hôtel d'entreprises de biotechnologies)"... Mêlant fausses et vrais informations et distribué à des milliers d'exemplaires, ce plagiat à fait grand bruit et commencé à semer des doutes parmi les milieux décisionnels et scientifiques. D'autant plus que ses auteur-e-s, contre lesquels des plaintes ont été déposées n'ont toujours pas été retrouvé-e-s.

A la fin du mois d'octobre, alors que des personnes sont intervenues lors des Etats généraux de la recherche pour dénoncer toute l'hypocrisie du mouvement Sauvons la Recherche ; un contre-évènement Objection de conScience présentait débats et conférences autour du système technicien et de la technopole grenobloise.

Enfin, le 13 décembre, le chantier de Minatec a été stoppé pour quelques heures pour protester contre "ce projet de plus d'un système économique, politique et technologique totalitaire". Six personnes ont réussi à monter sur une des grues et à y rester pendant une journée pendant qu'une cinquantaine d'autres personnes faisaient masse en bas et distribuaient des milliers de tracts dans toute la ville.

Mais qui est derrière tout ça, me direz vous ? Un parti ? un syndicat ? une secte obscurantiste ? Ben Laden ? Que nenni, ces différentes manifestations semblent être l'oeuvre de collectifs éphemeres, non assimilable à quelque organisation connue. Tous et toutes inspirées par les textes publiés sur www.piecesetmaindoeuvre.com, des personnes se mobilisent sur ce sujet particulièrement complexe. Et si les écrits et actions sont bien souvent anonymes, c'est pour "ne faire exercice d'aucune autorité et que les textes et actes soient jugés sur leur contenu et non sur leur signature".

Bien souvent ont été apportées les mêmes réponses aux critiques en ramenant leurs auteur-e-s à des "obscurantistes extrémistes". Mais le doute commence quand même à pénétrer dans les milieux institutionnels qui annoncent vouloir faire des débats publics sur les nouvelles technologies. Ainsi Didier Migaud, président de la Metro, déclare à propos du faux Metroscope : "Moi aussi je suis favorable à une croissance maîtrisée et je m'interroge sur les finalités de la science"(6). Y a-t-il des espoirs de changement de politique de la part des élu-e-s ? Vu l'engagement de ces derniers dans le domaine, on peut légitimement en douter et ne voir en ces déclarations que des petites reculées pour favoriser la retombée des critiques. Toute la difficulté qui attend les militant-e-s est donc maintenant d'informer de leurs doutes une large frange de la population pour qui ce sujet reste pour le moins opaque.

(1) 1984 est un célèbre roman de science-fiction écrit par Georges Orwell.

(2) Libération du 12 mai 2002.

(3) Le Monde, 14 février 2004 ou Professeur Belpomme, "Ces maladies crées par l'homme. Comment la dégradation de l'environnement met en péril notre santé", editions Albin Michel, 2004.

(4) Les transhumanistes sont en faveur de modifications fondamentales de la nature humaine, gràce aux nouvelles technologies, et ce en vue de son amélioration. Ce qui est assez troublant, c'est que certains d'entre eux sont des hauts-gradés des organismes de recherche et ont donc un réel pouvoir quant à l'orientation des recherches. Plus d'infos sur www.piecesetmaindoeuvre.com

(5)"La première pierre de Minatec est posée" par Véronique Grangier, en p. 29 d'Isère Magazine, le mensuel du Conseil Général de l'Isère, n°56, octobre 2004.

(6) Acteurs de l'économie en Rhône-Alpes, décembre 2004.