Nanotechnologies, maxiservitude

Les nanotechnologies ne sont pas une nouvelle science mais un projet de société. Il s'agit, par les convergences technologiques (informatique, biotechnologie, sciences cognitives), d'aboutir à une maîtrise totale de la matière, des atomes jusqu'aux populations.

En juin 2006, Grenoble et son Commissariat à l'Energie Atomique inaugurent MINATEC. Ce méga-centre de recherche en nanotechnologies ne connaîtra que deux rivaux dans le monde, à Los Angeles et Tsukuba (Japon). MINATEC et d'autres projets du même accabit font de Grenoble l'un des six pôles de compétitivité mondiaux désignés par le gouvernement en juillet dernier. Avec sa forte concentration en industries de l'électronique et de l'informatique, la capitale des Alpes tente de devenir la “Silicon Valley” française. Et demain, une “Nano Valley” mondiale ?

Mais au fait, c'est quoi les “nanotechnologies” ? Il s'agit de nouvelles technologies permettant de manipuler la matière à des échelles du nanomètre, c'est-à-dire du milliardième de mètre. A cette échelle, les atomes peuvent être manipulés comme des Légo, ce qui ouvre des perspectives inimaginables en terme de miniaturisation, de génie génétique ou de création de nouveaux matériaux.

Pour ses promoteurs industriels, les nanotechnologies constituent une “révolution technologique”. On nous promet des avancées spectaculaires dans tous les domaines : ordinateurs encore plus performants, écrans encore plus plats, téléphones encore plus multimédias, prothèses bioniques, écharpes interactives, tissus anti-tâches... Bref, on fera tout “mieux, plus vite et moins cher”. Voilà pourquoi ST Microelectronics, Philips et Motorola investissent plus de 2,2 milliards d'euros pour la construction de CROLLES 2, une usine pour micro et nanopuces dans la banlieue de Grenoble. CROLLES 2 est l'un des plus gros investissements industriels en France depuis la construction des dernières centrales nucléaires. Alcatel, Sagem, EADS, Bouygues, L'Oréal... Tous les plus grands industriels se lancent dans “la course aux nanos”. Et pour cause : selon la presse spécialisée, c'est le nouvel eldorado du “high tech”, un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars d'ici quelques années.

Tous ces projets sont copieusement soutenus par l'État et les collectivités locales. A Grenoble, près d'un milliard d'euros de subventions arrosent MINATEC, CROLLES 2, NANOBIO, MINALOGIC et la myriade de projets qui gravitent autour des nanos. Motif ? Le chantage à l'emploi :“Une mine d'or !” selon Michel Destot, le maire socialiste, quoique HP, Schneider et ST Microelectronics aient annoncé cet été des suppressions d'emploi et autres délocalisations.

N'en déplaise. A en croire leurs promoteurs, les nanos, “c'est que du bonheur”. Vraiment ?

Début juin 2005, 20 000 grenoblois découvrent dans leur boîte aux lettres une publicité du conseil général pour “Lybertis, carte unique d'identité et de services”. Obligatoire dès le 1er octobre, Lybertis remplace tous les documents administratifs : carte d'identité biométrique, carte bancaire, carte vitale, permis de conduire, etc. Pour “les têtes en l'air et les étourdis”, Lybertis est également proposée sous forme de micropuce sous-cutanée. Injectée sous la peau, cette puce permet une géolocalisation GPS. Vous croyez cauchemarder ? Vous pensez revivre 1984 d'Orwell1 et vous refusez ce flicage généralisé ? Ne vous inquiétez pas : le dépliant promet la tenue d'un “grand débat citoyen” en 2010, une fois Lybertis mise en place.

Un canular !”annonce le lendemain Le Dauphiné Libéré, quotidien local de Dassault. Un canular ? Une anticipation plutôt. Car Lybertis s'inspire de projets réels. Elle ne fait que perfectionner INES, la future carte d'identité biométrique prévue en 2006 par le ministère de l'Intérieur. Elle puise également dans les projets du GIXEL, le lobby des industries françaises de l'électronique.2 Enfin, la nanotechnologie dont s'inspire Lybertis existe déjà : depuis 2002, une société américaine3 commercialise Verichip, une micropuce sous-cutanée de la taille d'un grain de riz. Aux États-Unis, en Mexique ou en Espagne, Verichip est utilisé comme système d'identification dans des discothèques, des hôpitaux ou pour surveiller des prisonniers en liberté conditionnelle.4 A quand le traçage en temps réel des chômeurs et des RMIstes ?

C'est qu'en matière de contrôle social, les nanotechnologies tracent un boulevard : nanocaméras, nanorobots de surveillance, micro-étiquettes électroniques RFID5... Les “scientiflics” font le bonheur de l'État sécuritaire. Et de l'Armée ! Drones, obus “intelligents”, nanorobots de guerre, vêtements camoufleurs, la liste est longue des futures “nécrotechnologies” annoncées prochainement. A Grenoble, les militaires ne s'y trompent pas : la Direction Générale de l'Armement et le Commissariat ” l'Energie Atomique sont présents dans quasiment tous les projets liés aux nanos. Ici comme ailleurs, la liaison Recherche-Armée-Industrie bât son plein.

Autre face cachée des nanos : la toxicité des nano-particules6. Un sujet ” mettre en lien avec la gestion catastrophique de certains dossiers analogues comme celui du DDT ou des fibres d'amiante.

Evidemment, la population grenobloise n'est pas informée des conséquences sociales et environnementales de cette ruée vers le high tech. Les décisions politiques sont le fait d'un cercle restreint réunissant scientifiques, industriels et politiques, dont les membres -élus écologistes y compris- mélangent dans leurs parcours les différentes casquettes. Un exemple ? Le maire de Grenoble Michel Destot est un ancien du CEA, fer de lance de MINATEC. Les “technarques” savent combien les intérêts étatiques et capitalistes convergent vers les nanos. Pour le Pouvoir, c'est la promesse d'innovations inouïes en terme de contrôle social (fichage généralisé, biométrie, traçabilité humaine, armements, etc.). Pour l'Industrie, c'est la perspective de profits fantastiques. Dernière folie du “techno-gratin” Dauphinois : faire de Grenoble le coeur d'une “Silicon Valley” européenne, une continuité urbaine qui s'étendrait de Lyon à Genève.

Mais qu'y-a-t'il de si merveilleux à habiter une Silicon Valley ? “C'est le paradis des Millionnaires et de la Croissance !” proclament nos technarques. Dans la vallée de Santa Clara, c'est aussi 20 000 sans abris dont plus de 30% sont salariés à plein temps, les nappes phréatiques empoisonnées, l'urbanisation sauvage, les cancers du cerveau... Sombre perspective dont Grenoble connaît déjà les prémisses avec l'augmentation des loyers qui accompagne l'arrivée massive de cadres, chercheurs et ingénieurs. “Les pauvres laissent la place aux riches”, c'est la “tyrannie de la réussite” explique Bernard Pecqueur, l'un des conseillers municipaux PS de Grenoble.7

Depuis que des contestataires ont commencé à briser le consensus sur la question, élus et industriels réagissent. Ils tentent d'éviter le “scénario OGM” à coups de campagnes de communication, de “forum citoyen”, de “comités d'éthique” et autres “conférences citoyennes”. Maintenant que tout est décidé, il s'agit de faire accepter ces choix aux Grenoblois en leur donnant l'illusion qu'ils participent. L'enjeu est de taille, le dossier des nanotechnologies est aussi “explosif” que celui des OGM ou du nucléaire : même mépris de la démocratie, même transfert d'argent public vers le privé, mêmes liens recherche-armée-industrie, même culte du secret, mêmes risques écologiques. Mais ce que les opposants aux “nécrotechnologies” grenobloises contestent en priorité depuis quatre ans, c'est avant tout le monde que créent les nanotechnologies : un monde où l'on invente des nanorobots pour supprimer les tumeurs cancéreuses, sans lutter contre la dégradation de notre environnement responsable des cancers8 ; un monde où s'attaquer aux causes des pollutions est moins rentable que la fabrication de remèdes et de substituts ; un monde où la technification accroit la concentration des pouvoirs, la perte d'autonomie des citoyens sur leur propre vie, le contrôle généralisé du cheptel humain.

1Roman de science-fiction écrit en 1948.

2Du GIXEL, lire notamment Le Livre bleu sur http://www.gixel.fr.

3Applied Digital Solutions, http://www.adsx.com

4Le Figaro, 16 octobre 2004

5Les “Radio Frequency Identification Devices” permettent à des puces de communiquer à distance les informations qu'elles contiennent.

6cf Plan National Santé-Environnement sur http://www.sante.gouv.fr

7Dauphiné Libéré, 04/06/02

811 cf. dernier CQFD et Ces maladies créées par l'Homme, D. Belpomme, Albin Michel, 2004.